Miguel de Unamuno
Miguel
de Unamuno
Des intellectuels vont réagir de façon bien différente. J'ai pu lire, quelque part, la réaction du philosophe Miguel de UNAMUNO. Au début de la guerre, recteur de l'université de SALAMANCA, il s'est trouvé en zone nationaliste. Plutôt sympathisant nationaliste *, il avait soutenu les rebelles dans ce qu'il appelait " la lutte de la civilisation contre la barbarie". Il va radicalement changer le 12 octobre, une fête que les Espagnols appelle la Fête de la Race, et qui commémore la découverte de l'Amérique par Christophe COLON. Chargé de recevoir tous les "dignitaires" dans le cadre de l'Université pour célébrer cette cérémonie, il reçoit, entre autres, madame FRANCO, mais aussi le général MILLAN ASTRAY. Ce dernier avait perdu une bonne partie de son corps dans les batailles auxquelles il avait participé. Il n'avait plus qu'un œil, une jambe, un bras et dans la main qui lui restait, il lui manquait quelques doigts. Mais il n'a pas perdu sa langue et sa bravoure n'a d'égal que son fanatisme. Tout de suite après le protocole d'ouverture, il est chargé de faire un discours. Emporté par sa fougue ou soucieux de produire des effets sur l'auditoire comme tous les orateurs, il s'attaque violemment aux nationalismes basques et catalans, "des cancers dans le corps d'une Grande Nation qu'il faudrait extirper en tranchant dans la chair, sans fausse sentimentalité". UNAMUNO pâlit de plus en plus et sa mâchoire se resserre. Tout le monde sait qu'il est basque et on commence à scruter son visage.
A la fin du discours, qui avait fait
l'effet escompté, quelqu'un hurle le slogan célèbre du
général : "Vive la mort". MILLAN veut en faire davantage et finir
en apothéose. Il crie " :ESPAÑA ! Et la foule reprend : UNA !
Puis: ESPAÑA! GRANDE ! répondirent tous en chœur. Quand il termine
son ESPAÑA et que la foule - sans UNAMUNO - a hurlé, d'une seule
voix : LIBRE ! quelques falangistes tendent le bras pour faire le salut fasciste.
Cela en est plus que le philosophe peut supporter. Il se lève et prend
la parole :
-"Vous attendez tous ce que je vais répondre à ce discours - si
on peut l'appeler ainsi - du Général MILLAN ASTRAY. Vous me connaissez
et vous savez que je ne peux garder le silence, car le silence peut être
interprété parfois, comme une approbation. Je ne veux pas parler
de l'offense personnelle (vous savez tous que je suis basque) que m'a faite
le général dans sa violente vitupération contre les Basques
et les Catalans"- Il se tourne vers l'évêque aussi pâle que
lui. -" Et monseigneur, que cela lui plaise ou pas, est Catalan. Un silence
de mort gagne tout l'amphithéâtre. Personne jusqu'à ce jour
n'a osé faire front aux Nationalistes. Au bout de longues secondes UNAMUNO
reprend : -" Moi, philosophe, qui ai passé ma vie à façonner
les paradoxes qui ont soulevé l'irritation de ceux qui ne pouvaient pas
les comprendre, je viens d'entendre un cri morbide et dénué de
tout sens: vive la mort ! En ma qualité d'expert je dois vous dire que
je trouve ce paradoxe barbare tout à fait répugnant. Le général
MILLAN ASTRAY est infirme. Cela n'est pas une insulte: il est invalide de guerre.
CERVANTES l'était aussi. Il y a aujourd'hui en Espagne beaucoup trop
d'infirmes. Il y en aura bientôt beaucoup plus si DIEU ne nous vient pas
en aide. Je ressens une profonde douleur à la pensée que le général
MILLAN ASTRAY pourrait fixer les bases d'une psychologie de masse. Un infirme
qui n'a pas la grandeur d'âme d'un CERVANTES va chercher un soulagement
dans les mutilations qu'il peut faire subir autour de lui."-
Si le général avait pu bondir sur lui il l'aurait fait. Il écume ! Il crie : " Abajo la Inteligencia !" , "Vive la mort !" Il y a une clameur dans la salle. Elle vient de la part des falangistes.
UNAMUNO continue quand même : -" Cette université est le temple de l'intelligence et j'en suis son grand prêtre. Vous profanez son enceinte sacrée. Vous vaincrez car vous avez la force brutale, mais vous ne convaincrez pas, car pour convaincre il faut persuader. Or, pour persuader il faut avoir ce qui vous manque : la raison et le droit. Je pense qu'il est inutile que je vous exhorte à penser à l'Espagne. He terminado !
Les franquistes qui lui avaient rendu
ses fonctions, le destituèrent à leur tour.
Il se confiera au grec KAZANTZAKIS : " je suis désespéré
(…) ils se tuent les uns, les autres. Les uns brûlent des églises,
les autres célèbrent des cérémonies. Ils font ondoyer
des drapeaux rouges et des étendards du Christ. Croyez-vous que ceci
arrive parce que les espagnols ont la foi? Parce que la moitié d'entre
eux croit en la religion du Christ et l'autre moitié dans celle de Lénine?
Absolument pas! Tout ce qui arrive en Espagne c'est parce que les espagnols
ne croient plus en rien. Le peuple espagnol et le monde entier sont devenus
fous (….) Je suis seul! Seul comme CROCE en Italie".
MIGUEL DE UNAMUNO mourut cette même année 1936, dégoûté du monde dans lequel il vivait
*Voici
la réaction de Unamuno quand l'ordre de retirer tous les signes religieux
des écoles,(Y compris religieuses) fut donné le 14 janvier 1932:
La présence du crucifix dans les écoles n'offense aucun sens,
même pas ceux des rationalistes et des athées et l'enlever offense
le sentiment populaire même de ceux qui n'ont pas de croyances confessionnelles.
Que va-t-on mettre à la place qu'occupait le traditionnel Christ agonisant?
Une faucille et un marteau?, Un compas et une équerre? Ou quel autre
signe confessionnel? Parce qu'il faut le dire clairement et de cela il faudra
s'occuper: la campagne est d'origine confessionnelle et, bien sûr, de
confession anticatholique et antichrétienne. Parce que parler de neutralité
est une tromperie. (on peut aussi traduire par mystification)
La presencia del crucifijo en las escuelas no ofende a ningún sentido
ni aun a los de los racionalistas y ateos, y el quitarlo ofende al sentimiento
popular hasta de los que carecen de creencias confesionales. ¿Qué
se va a poner donde estaba el tradicional Cristo agonizante? ¿Una hoz
y un martillo? ¿Un compás y una escuadra? ¿O qué
otro signo confesional? Porque hay que decirlo claro y de ello tendremos que
ocuparnos: la campaña es de origen confesional y claro de confesión
anticatólica y anticristiana. Porque de neutralidad es una engañifa.
Miguel de Unamuno.
* Selon un autre historien, cette initiative venait de
Carmen POLO, la femme de Franco