L'Espagne exclue de l'ONU
Les Espagnols
restés en Espagne, n’allaient pas être mieux lotis que
les exilés. Aux désastres décrits dans les conclusions
de Hugh THOMAS et Georges ROUX, il faut en ajouter un autre dont je n’ai
trouvé trace nulle part. Brusquement prises par des remords tardifs,
ou par des considérations politiques qui m’échappent encore,
les nations occidentales entreprirent de plonger Franco dans un isolement
diplomatique, mais surtout économique, complet. Je dis surtout car
les conséquences vont être extrêmement graves pour le peuple
espagnol. L’Espagne n’était plus qu’un vaste champ
de ruines. Tous les systèmes de production étaient à
30 % détruits. Toutes ses réserves d’or étaient
disparues et ses réserves en hommes aussi, d’ailleurs. Tous ceux
qui étaient morts comptaient parmi les plus solides. Puis il y avait
les blessés, les mutilés, ceux qui étaient en exil et
ceux qui étaient moralement morts. En septembre 1939 allait éclater
la deuxième guerre mondiale privant le pays d’échanges
avec l’Allemagne et l’Italie. Et dans cette Espagne qui allait
devoir vivre en autarcie totale, suivirent plusieurs années de sécheresse
pour ajouter aux calamités. Le nombre de morts des conséquences
de cette guerre et des mesures de rétorsion prises à l’encontre
de Franco ne peut pas être calculé. Il n 'est pas calculable.
Je le dis et je pèse bien mes mots : les pays des "démocraties
occidentales" laissèrent volontairement mourir des centaines de
milliers d'Espagnols.
En février 1946, de Gaulle est battu aux élections. C'est le
socialiste FELIX GOUIN qui lui succède et il va, tout de suite, faire
couper tout le trafic commercial entre la France et l'Espagne. Que les Espagnols
de base crèvent de faim, c’était le dernier de leurs soucis.
Et ils iront encore plus loin les socialistes français, ils feront
pression pour que les Anglais et les Américains portent le débat
sur l’affaire espagnole à l’ONU.
C'est par les Etats Unis que l'Espagne est mise au ban des accusés
par le Comité de Sécurité, mais ils y ont été
"poussés" par les Anglais et surtout par les Français.
Le sénateur CONNALLY accuse le gouvernement franquiste de fasciste.
Il propose que l’Espagne soit exclue de l’O.N.U. Le 12 décembre
1946 se tient l’assemblée générale et l’"affaire
espagnole" est à l’ordre du jour. De nombreuses interventions
affirment que ce gouvernement a été imposé au peuple
espagnol par la force avec l’aide des forces de l’Axe et recommandent
que l’Espagne soit exclue de tous les organismes relevant des Nations
Unies. Et on passe au vote : 34 pays se prononcent pour l’exclusion,
treize s’abstiendront et six voteront contre.
J'ai cherché à savoir qui étaient les pays qui avaient
contre et ceux qui s'étaient abstenus. Les pays qui se sont abstenus
sont les pays arabes ; ceux qui ont voté contre sont les pays d'Amérique
du sud, liés à l’Espagne par leur culture et des liens
très forts de sang. Aux résultats du vote, la salle se lève
pour une longue, très longue acclamation. Cette salle acclame la mort
future de centaines de milliers de personnes qui mourront de faim ou malnutrition,
de privations, de froid, de désespoir. On veut punir Franco en le laissant
seul et sans moyens gérer cet immense champ de ruines, mais qui subira
les privations? Comment, des personnes élues pour représenter
leur pays, donc des personnes qui devraient être sensées et responsables,
peuvent-elles voter sans mesurer toutes les conséquences de leur vote?
Moi qui les ai subies, avec tout le reste des espagnols, je leur exprime par
ces quelques mots tout mon profond dégoût et mon plus profond
mépris.
Car on ne va s’arrêter sur un si bon chemin…. L’Assemblée
" recommande" à tous les pays de rappeler immédiatement
leurs ambassadeurs et on les prie d’informer le Secrétaire Général
des sanctions qu’ils auront prises à l’égard de
l’Espagne.
Cette Espagne, il faut être espagnol pour la comprendre. Trois jours
avant le vote prévisible des Nations Unies, des manifestations éclatent
un peu partout en Espagne. On dit qu’à Madrid plus de 500 000
personnes se sont rassemblées sur la place d’Orient. De quoi
se mêlent-elles ces nations ? pensent les espagnols. Nous sommes assez
grands pour savoir ce que nous avons à faire. Il y a là des
militaires, des anciens phalangistes, mais aussi des ouvriers, des employés
et toutes les couches sociales. Ricos o pobres ante todos somos españoles
(Riches ou pauvres avant tout nous sommes espagnols). Mais si la langue espagnole
s’y était prêtée, la traduction en français
aurait été "on vous emmerde tous autant que vous êtes".
Franco sait tirer parti de cette situation. Au balcon, il stigmatise la vague
de terreur communiste qui déferle sur l'Europe et qui a influencé
leurs représentants ainsi que leurs votes. Il ravive l’esprit
du 2 mai 1808 et la révolte des espagnols contre les troupes de l’envahisseur
Napoléon. Et c’est une clameur immense sortie des tripes d'un
demi million de personnes en même temps et un tonnerre d’applaudissements
!
Et tout le monde est content : l’ONU qui a "sanctionné"
Franco, Franco qui a été plébiscité. Et les Espagnols
là-dedans ? Qui pense aux Espagnols ?
Le 15 décembre 1955, l’Assemblée Générale,
à la demande du Canada, (que je remercie du plus profond de mon coeur)
décidera de réintégrer l’Espagne à l’ONU.
Quelques jours auparavant, il y avait eu 2 voix contre et 7 abstentions, cette
fois-ci il n’y a plus de voix contre et il n’y a plus que deux
abstentions
Il aura fallu que les Américains dans les années 50 se rendent
compte que l’Espagne était bien située d’un point
de vue stratégique pour y établir des bases militaires. Dés
1953 ils avaient établi des bases aériennes à ZARAGOZA,
MORON de la FRONTERA et TORREJON et une navale à ROTA. L’Espagne
allait enfin pouvoir sortir de son isolement…..
Trop tard pour tous ceux qui étaient morts ! Trop tard aussi pour ceux qui, comme moi, avaient raté leur départ dans la vie.
Des historiens calculent les espagnols
morts de faim ou de malnutrition, de manque de soins ou de médicaments,
de tristesse ou désespoir, de faute de moyens entre 300 et six cent
mille morts. Plus de deux millions devront s'exiler pour pouvoir vivre décemment.
J'étais de ceux-là