Principales mesures de la nouvelle Constitution du 9 décembre 1931

Le 28 juin 1931 ont lieu des élections dans le calme. La gauche obtient 377 sièges contre 60 à la droite. Avec cette énorme majorité le Gouvernement pense pouvoir faire tout ce qu' il voudra. Il promet.

Il promet une réforme agraire et une refonte de l' instruction publique et ces promesses sont saluées avec enthousiasme. Par contre il se lance immédiatement dans une épuration de l' Armée. Cette Armée ne s' était pas montrée hostile à la République. Elle avait laissé les événements suivre leur cours sans aucune opposition. Les coups de sabre vont être douloureux!
On s' attaque d' abord au corps des officiers. Les amputations sont d' une telle ampleur et sont faites avec une telle brutalité qu' elles soulèvent chez elle une vague d' hostilité.
L' Académie Militaire et le Conseil Supérieur de la Guerre sont carrément supprimés. Toutes les promotions sont abolies et, à l' avenir, seule l' ancienneté sera prise en compte.
La "Gardia Civil" qui maintient (trop) l' ordre avec une discipline sans faille depuis 100 ans est doublée par un autre corps: los Guardias de Asalto -que l'on appelera "los asaltos"-. (Et ces asaltos seront choisis uniquement sur leurs affiliations aux partis au pouvoir). Elle ne cachera plus son mépris et son mécontentement.

Le Gouvernement s'aperçoit très vite qu'il a été trop loin et le 21 octobre, il fait voter une loi qui suspend les garanties individuelles. Cette mesure est perçue comme un manque de confiance en soi. Les capitaux commence à fuir à l'étranger. Des difficultés apparaissent et les extrémistes de tous bords commencent à s'agiter.

On prépare une constitution dans laquelle Manuel AZAÑA paraît vouloir assouvir on ne sait quelle soif de vengeance. ALCALA ZAMORA et MIGUEL MAURA, les deux "catholiques" menacent de démissionner....... mais ne démissionnent pas. LERROUX ( ! ) et MARTINEZ BARRIO (!) prônent la prudence et la modération, mais la volonté, on pourrait dire la rage d'AZAÑA, finit par l'emporter
Le 9 décembre on vote solennellement une nouvelle Constitution originale par ses dispositions en matière religieuse. On pouvait trouver l'Église d'Espagne trop présente, mais il aurait fallu aborder ce sujet avec précaution.
En quelques mois des mesures vont s'accumuler et se déverser sur le pays.

1° Séparation des Églises et de l'État,

2° Suppression, au bout de trois ans, du traitement alloué aux prêtres, (cette rémunération représentait la contrepartie d'une ancienne nationalisation des biens ecclésiastiques faite sous le Général Prim en 1868)

3° Institution du divorce "pour désaccord réciproque"

4° Expulsion des Jésuites,

5° Interdiction aux congrégations d'enseigner,

6° Nécessité de se pourvoir d'une autorisation préalable pour sortir en procession,

7° Obligation aux écoles libres de dispenser un enseignement des idéaux de solidarité humaine, (??)

8° Interdiction de faire des enterrements religieux « dans tous les cas où le défunt ne l'aurait pas demandé expressément » .

Pour cette dernière interdiction, faute d'un écrit souvent impossible, les familles seront obligées de suivre, la tête basse, le cœur serré, un cortège civil qu'elles réprouvent ou qu'elles n'approuvent pas.

Tous les Ordres religieux devraient se faire inscrire au Ministère de la Justice ; s'ils étaient considérés comme dangereux pour l'Etat, ils seraient dissous. (Ce projet avait été un peu assoupli ; la première mouture prévoyait la dissolution pure et simple de tous les ordres religieux) Ceux qui exigeaient un vœu en plus des trois vœux monastiques habituels, seraient dissous dans tous les cas. Aucun Ordre ne serait autorisé à posséder plus que le strict nécessaire pour subsister ni se livrer à aucune forme de commerce. Tous les Ordres devraient présenter des comptes annuels à l'Etat. L'enseignement devait être inspiré par des « idéaux de solidarité humaine » Formule vague sujette à toutes les interprétations et qui impliquait la fin de l'enseignement religieux. Toutes « manifestations religieuses publiques » telles que les processions de Pâques ou Noël, devraient être soumises à une autorisation officielle. Dans les faits et dans certaines régions, tout office religieux devînt impossible, soit par l'interdiction des autorités, soit par la pression de la rue. Enfin le divorce serait prononcé pour cause de désaccord réciproque ou sur simple demande de l'un d'eux s'il présentait des motifs valables. Des primes furent offertes aux jeunes qui se marieraient civilement.

Tout cela, pour l'Espagne, c'est une révolution. Toutes ces mesures représentent une rupture trop radicale avec le passé.

Bien que la droite n'ait plus de poids pour s'opposer, un pareil ensemble de dispositions n'a pas été adopté sans difficultés. Alcala Zamora et Miguel Maura ont, un moment, voulu donner leur démission. Martinez Barrio, pourtant grand maître de la Maçonnerie, a exprimé de sérieuses réserves. Alexandre Lerroux (!!! *) a dit son hostilité catégorique. Mais Manuel AZAÑA s'obstine. Au cours de la discussion à la Chambre, tourné vers l'opposition déchaînée, il lui crie : “Vous dites que tout cela est contraire à la liberté. Peut-être. Moi je vous dis que c'est une question de salubrité publique. ” *Après des débats houleux, il est finalement suivi; ses projets sont adoptés.

Les catholiques libéraux et cette fraction du clergé qui avaient voté pour la République sont littéralement consternés. Le mécontentement est grand dans les provinces attachées aux pratiques traditionnelles. La Navarre gronde. Beaucoup de républicains modérés s'inquiètent de cet état d'esprit de combat. Une bataille sur ce terrain leur paraît inutile, tout au moins prématurée; ils pensent qu'une réforme était certes nécessaire, mais qu'on l'avait décidée trop brutale, qu'en tout cas il y en avait d'autres plus pressantes; que l'introduction, dans la Constitution, de clauses délibérément anticléricales était, politiquement, une pure folie

Et LERROUX aurait prévenu: "L'Eglise n'a pas manifesté d'hostilité systématique à la République. Son influence est évidente sur un pays traditionnellement catholique. Provoquer une lutte, alors que le nouveau régime est à peine né, est injuste, impolitique, complètement insensé".
En somme les catholiques espagnols se trouvaient acculés devant deux solutions: prendre parti contre la Constitution ou perdre presque toutes leurs libertés. ALCALA ZAMORA, "le catholique" en acceptant de devenir le premier Président de la République offrit un flanc à ceux qui se gargarisèrent de ne pas les avoir exclus complètement du régime, alors que LERROUX (décidément bien calmé) et quatre-vingt-dix de ses amis passèrent à l'opposition ( ! !)
La Constitution prévoyait, en outre, « en cas d'urgence » la suspension pour trente jours de toutes les libertés garanties par elle. Elle donnait au Ministère de l'Intérieur le pouvoir d'interdire toute réunion publique. La droite cria à la dictature.

Si la république s'était lancée dans une réforme agraire au lieu de s'en prendre à l'Eglise, seuls quelques rares gros propriétaires s'y seraient opposés. Huhg Thomas: La guerre d'Espagne.

Niceto Alcalá Zamora, dans son livre : Los defectos de la Constitución de 1931 (livre écrit avant 1934 et publié en 1936) qualifie comme la nuit la plus triste de sa vie celle du 13 octobre 1931 aux Cortès. Semaine tragique pour l'Eglise et nuit opaque dans des spasmes de violence verbale et même physique où l'on discuta jusqu'à l'aube le célèbre et encore aujourd'hui surprenant Article 26 de la Constitution. Voilà son texte en espagnol:

«Todas las confesiones religiosas serán consideradas como asociaciones sometidas a una ley especial. El Estado, las regiones, las provincias y los municipios no mantendrán, favorecerán ni auxiliarán económicamente a las iglesias, asociaciones e instituciones religiosas. Una ley especial regulará la total extinción, en un plazo máximo de dos años, del presupuesto del clero. Quedan disueltas aquellas órdenes religiosas que estatutariamente impongan, además de los tres votos canónicos, otro especial de obediencia a autoridad distinta de la legítima del Estado [indisimulada alusión a la Compañía de Jesús]. Sus bienes serán nacionalizados y afectados a fines benéficos y docentes. Las demás órdenes religiosas se someterán a una ley especial votada por las Cortes Constituyentes y ajustada a las siguientes bases:

1ª Disolución de las que, por sus actividades, constituyan un peligro para la seguridad del Estado.

2ª Inscripción de las que deben subsistir, en un registro especial dependiente del Ministerio de Justicia.

3ª Incapacidad de adquirir y conservar por sí o por persona interpuesta más bienes que los que, previa justificación, se destinen a su vivienda o al cumplimiento directo de sus fines privativos.

4ª Prohibición de ejercer la industria, el comercio o la enseñanza.

5ª Sumisión a todas las leyes tributarias del país.

6ª Obligación de rendir anualmente cuentas al Estado de la inversión de sus bienes en relación con los fines de la asociación.

Los bienes de las órdenes religiosas podrán ser nacionalizados cuando se crea necesario.


*Alejandro Lerroux,(un nom bien français) appelé el Emperador del Paralelo était, rappelez-vous, l'auteur de ces harangues dans la semaine tragique de Barcelone: "Jeunes barbares d'aujourd'hui ! Venez piller la civilisation décadente de ce malheureux pays ! Détruisez ses temples ! Abattez ses dieux ! Videz ses couvents ! Arrachez le voile de ses novices, violez-les et faites-en des mères ! Battez-vous, tuez et mourez ! puis Brûlez les régistres de propriété, tuez!, tuez!, tuez! Il s'était décidément bien calmé
*Au cours d'une interview avec un journaliste, Azaña dira une de ses phrases restées célèbres: -"Si tous les espagnols étaient Azañistes,tout irait pour le mieux en Espagne!